« Irrelohe » à l’Opéra de Lyon
L’Opéra de Lyon clôture son festival « Secrets de famille » avec la création pour la première fois en France de « Irrelohe » du compositeur autrichien Franz Schrecker. Cet opéra dont la première eut lieu en 1924 valut à Schrecker en 1933 d’être qualifié par les nazis de « musicien dégénéré ». Héritier de Wagner ou Malher, plus célèbre de son vivant que Richard Strauss, le voici enfin présenté avec une œuvre d’une ardeur sauvage puissamment dirigée, interprétée et mise en scène.
Egalement auteur du livret, Schrecker propose une histoire violente dans laquelle des personnages aristocratiques et populaires s’affrontent. Passions refoulées, viols, meurtres, incendies, malédictions et vengeances nourrissent une partition fiévreuse et incandescente dans laquelle s’entrechoquent musique post romantique, lyrics des années folles et recherches expérimentales. Le résultat est stupéfiant de modernité et doit sa réussite à la parfaite osmose entre la direction musicale, la mise en scène, la scénographie, la vidéo et les chanteurs et musiciens.
S’il fallait comme à Cannes distribuer des récompenses aux artistes, le prix de la mise en scène irait au duo David Bösch et Falko Herold pour la beauté funèbre de leurs images théâtrales et filmées, pour la finesse de la mise en jeu à la fois tragique et ironique, les prix d’interprétation seraient distribués à Julian Orlishausen dans le rôle de Peter, amant éconduit, halluciné et aux instincts meurtriers, à Lioba Braun dans celui de sa mère, la vieille Lola, femme impuissante et pathétique, à Michael Gniffke (Christobald), personnage au bord de la démence et assoiffé de vengeance, à Tobius Hächler (le comte Heinrich), homme refoulé, exalté par l’énergie du désespoir. Quant à la palme d’or, elle reviendrait à Bernhard Kontarsky, chef octogénaire d’exception, capable d’entraîner solistes, chœurs et musiciens dans une furia musicale dont il maîtrise les violences comme les transitions apaisantes. Au vu des accolades complices au moment des saluts, on ne doute pas qu’il partagerait sa récompense avec Ambur Braid, soprano dans le rôle d’Eva dont la puissance vocale et la sensualité libérée hissent sa composition au rang de performance exceptionnelle.
Michel Dieuaide
Opéra de Lyon
Jusqu’au 2 avril
© Stofleth