C’est souvent l’actualité qui nous pousse à nous intéresser à tel ou tel point de notre histoire pour y rechercher des ressemblances avec ce que nous vivons. Ainsi n’est-il pas étonnant qu’en ces temps de pandémie on se penche sur les grandes  épidémies des temps passés : la grippe espagnol, qui fit au moins 40 millions de morts dans un monde déjà affaibli par la guerre de 1914, par exemple, est singulièrement ressortie de l’oublie ces dernier temps.

Pour les marseillais c’est la mémoire de la grande peste qui refait surface : en deux épisodes très rapprochés , 1720,1722 elle mis à mort la moitié de la population de la ville, soit environ 40000 personnes et entraîna la disparition de quelques 50000 personnes de plus dans les régions voisines malgré les tentatives de confinement de la cité phocéenne.

Le musée d’histoire de Marseille a donc eu tout à fait raison de se pencher sur cette gigantesque catastrophe et ce d’autant plus que des fouilles récentes ont mis à jour et étudié deux charniers datant de cette époque qui apportent des informations extrêmement précieuses sur les victimes de l’épidémie.

C’est d’ailleurs par un documentaire sur ces chantiers de fouille que commence la visite de l’exposition : deux archéologues nous exposent le pourquoi et le comment de leur travail et nous montrent, de manière concrète, ce qu’il nous apprend sur l’épidémie et sur la manière dont les survivants ont géré  l’énorme quantité de cadavres, entre respect dû aux défunts et crainte de la contagion !

La suite de l’exposition fait une large place aux témoignages des contemporains : les journaux tenus quotidiennement par plusieurs marseillais sont exposées mais on peut aussi  entendre leurs textes, enregistrés par des comédiens. A cela s’ajoute la présentation d’objets liés à la lute contre la maladie , à commencer par la célèbre tenue  anti- miasme des médecins d’alors, avec son insolite bec de corbeau , qui est resté le symbole de l’effroi des soignants et qui sert d’affiche à l’exposition ( cf illustration) . Et ceci même s’il n’est pas du tout certain que ce costume , imaginé à Paris dans la deuxième partie du XVIIeme siècle, ait été utilisé à Marseille entre 1720 et 1722 !

Une dernière salle est vouée au souvenir de la grande peste depuis le XVIIIème , car si l’épidémie n’interrompit que momentanément l’essor du grand port Méditerranéen ( en 1750 la population de Marseille avait dépassé le niveau de 1722 !) elle reste encore aujourd’hui bien présente dans la mémoire des marseillais.

Le musée des Beaux-arts de Marseille, pour accompagner l’exposition, a eu l’heureuse idée de présenter les tableaux de ses collections et de ses réserves consacrés à la grande peste. Les plus remarquables sont, sans conteste, ceux de Michel Serre, peintre catalan installé à Marseille depuis 1675 jusqu’à sa mort en 1733. Témoin oculaire de la catastrophe ( il s’est représenté prenant des croquis sur un de ses tableaux montrant la ville en temps de peste ) il présente dans d’immense toiles une vision saisissante des ravages de l’épidémie, vision très concrète, précise, qui contraste avec celle d’autres œuvres présentées, postérieures à l’événement et qui sont beaucoup plus allégoriques, voir moralisantes ( l’épidémie étant considérée comme un châtiment divin )

Bref deux expositions complémentaires, pas forcément très faciles d’accès , mais qui nous offrent un passionnant point de vue sur une catastrophe, qui , bien que différente de notre covid,  nous pousse à nous interroger sur nos réactions face à l’épidémie.

Musée d’histoire de Marseille : 2 rue Henri Barbuse ( Centre Bourse )

Musée des Beaux-arts :9 rue Édouard Stéphan ( Longchamp )